Parce que… c’est l’épisode 0x612!

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Description

Dans cet épisode, l’animateur reçoit Simon Du Perron, avocat spécialisé en protection de la vie privée, pour analyser deux projets de loi majeurs du gouvernement : C-2 et C-8. Ces projets législatifs, qualifiés de « massifs », ont des implications significatives sur la protection des renseignements personnels au Canada.

Le projet de loi C-2 : un régime de surveillance élargi

Le projet de loi C-2, officiellement intitulé « Loi concernant certaines mesures liées à la sécurité de la frontière entre le Canada et les États-Unis et d’autres mesures connexes liées à la sécurité », constitue un projet omnibus de 140 pages modifiant près de 20 lois fédérales. Présenté par le ministre de la sécurité publique, ce projet va bien au-delà des simples enjeux frontaliers.

Modifications au code criminel

La partie 14 de C-2 modifie le code criminel pour accorder aux agents de la paix des pouvoirs élargis d’accès aux données. Cette modification est particulièrement préoccupante car elle s’applique de manière générale à travers le Canada. Les agents peuvent désormais ordonner aux fournisseurs de services électroniques de divulguer des métadonnées sur leurs utilisateurs sans mandat préalable, incluant l’identifiant du client, ses numéros de compte, le type de service fourni, la période d’utilisation et les informations sur les dispositifs utilisés.

Cette approche contraste avec la jurisprudence récente de la Cour suprême, notamment l’affaire Bicovette, qui avait établi qu’un mandat était nécessaire pour obtenir des adresses IP. Le projet C-2 semble vouloir contourner cette protection judiciaire en facilitant l’accès aux données par les forces de l’ordre.

Le régime d’accès légal

La partie 15 crée un cadre juridique pour l’accès légal (« legal access »), obligeant les fournisseurs de services électroniques à maintenir des capacités techniques permettant aux autorités d’accéder aux informations demandées. Cette obligation va jusqu’à créer un pouvoir ministériel d’ordonner par décrets contraignants la mise en place de mesures spécifiques, avec des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 250 000 dollars.

La définition de « fournisseur de services électroniques » est particulièrement large, englobant essentiellement tout service permettant de mettre à disposition des informations par un moyen technologique. Paradoxalement, la loi crée une distinction entre les fournisseurs canadiens et étrangers : pour ces derniers, une autorisation judiciaire reste nécessaire, créant une situation où il est plus facile d’accéder aux données d’un fournisseur canadien qu’américain.

Autres modifications préoccupantes

Le projet modifie également la Loi sur la Société canadienne des postes, réduisant la protection du contenu des transmissions postales en ajoutant une exception « sauf en conformité avec une loi fédérale ». Cette modification pourrait permettre l’application des nouvelles dispositions du code criminel aux services postaux.

Une modification à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité permet aux institutions financières de recueillir et utiliser des renseignements personnels sans consentement s’ils proviennent d’une autorité policière, dans le but de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement terroriste.

Le projet de loi C-8 : renaissance de C-26

Le projet C-8 reprend presque intégralement l’ancien projet C-26, qui n’avait pas pu être adopté lors de la législature précédente en raison d’un problème de traduction. Ce projet vise à sécuriser les systèmes de télécommunications et les infrastructures critiques.

Modifications à la loi sur les télécommunications

La première partie modifie la Loi sur les télécommunications pour inclure « la promotion de la sécurité du système canadien de télécommunication » dans ses objets. Elle confère au ministre de l’Industrie le pouvoir d’interdire aux télécommunicateurs d’utiliser certains produits ou services, ou d’imposer des mesures de sécurité spécifiques, sans indemnisation en cas de pertes financières.

La loi sur la protection des cybersystèmes essentiels

La seconde partie crée une nouvelle loi visant les secteurs critiques : télécommunications, pipelines et lignes électriques, énergie nucléaire, système bancaire, et transport de compétence fédérale. Les organisations de ces secteurs devront adopter un programme de cybersécurité, notifier les incidents au Centre de la sécurité des télécommunications dans les 90 jours, et se conformer aux directives gouvernementales.

Cette approche s’inspire du règlement européen NIS 2, créant un régime de cybersécurité robuste pour les infrastructures essentielles. Les incidents de cybersécurité qui affectent la confidentialité, l’intégrité ou la disponibilité de l’information devront être signalés, créant potentiellement une double obligation de notification pour les incidents touchant aussi la vie privée.

Préoccupations et enjeux constitutionnels

Inspiration américaine problématique

Les deux projets s’inspirent fortement du modèle américain, particulièrement du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act). Cette approche soulève des inquiétudes quant à la création d’un système de surveillance de masse similaire à celui des États-Unis, mais appliqué aux données de citoyens canadiens plutôt qu’aux données d’étrangers.

La facilité d’accès aux métadonnées pourrait mener à la constitution de bases de données gouvernementales permettant des requêtes systématiques, transformant l’État en « courtier de données criminel ». Cette évolution vers un modèle de surveillance étatique accrue préoccupe les défenseurs de la vie privée.

Absence de contrepouvoirs

Contrairement à d’autres juridictions qui mettent en place des mécanismes de surveillance spécifiques pour encadrer de nouveaux pouvoirs, C-2 s’en remet principalement aux tribunaux pour baliser l’usage des nouvelles dispositions. Cette approche réactive plutôt que préventive laisse une large marge de manœuvre aux forces de l’ordre.

Questions constitutionnelles

Le projet C-2 présente la particularité de ne pas contenir de disposition d’objets claire, contrairement à la pratique habituelle des projets de loi fédéraux qui cherchent à ancrer leur compétence constitutionnelle. Cette omission pourrait poser des défis d’interprétation judiciaire.

Processus parlementaire et perspectives

Le gouvernement conservateur semble pressé de faire adopter ces mesures. C-2 est actuellement en deuxième lecture tandis que C-8 est en première lecture. Tous deux relevant du ministre de la sécurité publique, ils seront probablement étudiés par le même comité parlementaire, ce qui pourrait ralentir leur progression.

L’adoption de ces projets marquerait un tournant significatif dans l’équilibre entre sécurité et vie privée au Canada. Ils reflètent une volonté gouvernementale de s’aligner sur les demandes américaines en matière de sécurité frontalière, tout en modernisant les outils d’enquête face à la multiplication des plateformes numériques.

Les audiences publiques et l’étude détaillée en comité seront cruciales pour évaluer l’impact réel de ces mesures sur les droits fondamentaux des Canadiens. La communauté juridique et les défenseurs de la vie privée devront être particulièrement vigilants face à ces transformations majeures du paysage législatif canadien en matière de surveillance et de cybersécurité.

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Tags: canada, loi, prp


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