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Ce deuxième bloc de conversation avec les experts de Propolis, un incubateur d’entreprises, explore les défis complexes de la commercialisation des innovations en cybersécurité au Québec et au Canada.

Les défis de la vulgarisation technique

Berenice Alanis, représentante de Propolis, souligne un problème récurrent chez les entrepreneurs techniques : leur difficulté à communiquer efficacement leurs solutions. Les start-ups en cybersécurité peinent particulièrement à vulgariser leurs innovations, ce qui constitue un obstacle majeur à la commercialisation. L’incubateur consacre six mois à former ces entrepreneurs aux compétences relationnelles (soft skills) par le biais d’ateliers, de mentorat et de coaching.

Le défi principal réside dans l’incapacité des entrepreneurs à bien poser le problème qu’ils tentent de résoudre. Comme l’explique Nora Boulahia Cuppens, professeure-chercheuse, cette difficulté existe aussi dans le milieu académique : un article scientifique n’est accepté que si le problème est clairement positionné et que l’innovation apporte une solution nouvelle et rentable. Les entrepreneurs doivent apprendre à expliquer leur solution comme s’ils s’adressaient à un enfant de dix ans, en évitant le jargon technique excessif.

La spécificité du marché de la cybersécurité

Thierry St-Jacques-Gagnon, entrepreneur en résidence, identifie une particularité fondamentale du secteur : contrairement aux technologies médicales où les clients sont naturellement du domaine médical, la cybersécurité doit s’adresser à des entreprises qui ne sont pas spécialisées en sécurité informatique. Les premiers clients ne sont pas les experts en cybersécurité, qui pourraient être des concurrents, mais plutôt les utilisateurs finaux qui ont besoin de protection.

Cette réalité crée un paradoxe : la cybersécurité n’est ni considérée comme “sexy” ni comme prioritaire par les entreprises. Elle reste perçue comme une fonction de support plutôt qu’une unité d’affaires stratégique. L’intérêt ne se manifeste généralement qu’après un incident de sécurité, moment où les budgets deviennent soudainement disponibles, mais cet élan retombe rapidement.

L’innovation par l’amélioration de l’expérience utilisateur

L’approche de Kelvin Zero illustre une stratégie prometteuse : positionner la cybersécurité comme un amélioration de l’expérience utilisateur plutôt qu’une contrainte. L’exemple des solutions sans mot de passe démontre comment il est désormais possible d’augmenter simultanément la sécurité et la facilité d’utilisation, rompant avec le paradigme traditionnel selon lequel ces deux aspects étaient inversement proportionnels.

L’insularité du secteur cybersécuritaire

Un problème structurel majeur émerge des discussions : l’écosystème cybersécuritaire québécois reste très insulaire. Les professionnels se parlent entre eux lors de conférences spécialisées, mais peinent à franchir les frontières sectorielles pour atteindre les véritables utilisateurs finaux. Cette situation contraste avec celle observée aux États-Unis, où davantage de non-experts participent aux événements cybersécuritaires et comprennent l’importance de ces enjeux pour leurs entreprises.

Les approches culturelles et réglementaires

La discussion révèle des différences culturelles significatives entre les approches nord-américaine et européenne. Frédéric Cuppens explique que l’Europe privilégie une approche “régalienne” où l’État impose des réglementations que les entreprises doivent respecter, comme illustré par le RGPD ou les lois sur les infrastructures critiques. Cette approche serait difficilement acceptable en Amérique du Nord, où l’on privilégie la libre entreprise.

Cependant, ces différences s’estompent avec des initiatives comme le projet de loi C-26 au Canada, qui crée des opérateurs d’importance vitale sur le modèle européen. Cette évolution suscite des débats, les entreprises n’étant pas habituées à une intervention étatique aussi directe.

L’impact de la peur et de la sensibilisation

L’analyse comparative révèle que les États-Unis et Israël bénéficient d’un contexte de menaces qui facilite naturellement la sensibilisation à la cybersécurité. L’Europe a compensé ce facteur par la réglementation, créant une culture de la conformité. Au Québec et au Canada, l’absence de ces deux éléments maintient une certaine complaisance collective face aux enjeux cybersécuritaires.

Les solutions d’accompagnement et de formation

Propolis développe plusieurs stratégies pour surmonter ces défis. L’incubateur s’appuie sur des entrepreneurs en résidence, des partenariats avec de grandes entreprises comme CGI, et un réseau de mentors pour aider les start-ups à franchir la barrière entre l’innovation technique et la réalité commerciale. L’accès aux subventions et le développement de prototypes fonctionnels constituent également des éléments clés du programme d’accompagnement.

Innovation pédagogique : la maîtrise entrepreneuriat-cybersécurité

Face au constat que les étudiants ayant des projets d’innovation sont souvent contraints de choisir entre leurs études et leur projet entrepreneurial, Polytechnique Montréal a créé un parcours novateur. Cette maîtrise en cybersécurité avec spécialisation entrepreneuriat permet aux étudiants de développer leur start-up tout en validant leurs crédits académiques. Le programme s’appuie sur Propolis pour la partie incubation, créant un pont naturel entre formation et commercialisation.

Les enjeux de financement et d’accessibilité

Un défi important concerne l’accessibilité des programmes d’incubation. Tous les participants n’ont pas la liberté financière de se consacrer entièrement à leur projet d’innovation, particulièrement ceux qui ont déjà une famille et des obligations professionnelles. Cette réalité soulève la question du besoin de subventions spécifiques permettant aux entrepreneurs de se dégager temporairement de leurs autres activités.

Vers une approche systémique de l’innovation

Les experts identifient plusieurs pistes d’amélioration pour l’écosystème. Le concept de “living lab” développé par l’IMC2 vise à créer des espaces d’interaction entre chercheurs, industriels et start-ups. Ces plateformes permettraient de partager des expérimentations, des données et des résultats dans un environnement de confiance mutuelle.

La nécessité d’une approche plus structurée émerge également, avec des parallèles tracés avec les secteurs de la construction ou de l’ingénierie, où l’innovation coexiste avec des cadres réglementaires stricts. L’idée d’une certification professionnelle pour les développeurs web, par exemple, illustre comment l’encadrement pourrait coexister avec l’innovation.

En conclusion, ce podcast révèle que le succès de l’entrepreneuriat en cybersécurité au Québec nécessite une approche holistique combinant formation technique et commerciale, sensibilisation du marché, évolution réglementaire mesurée, et création d’écosystèmes collaboratifs entre l’académie, l’industrie et les start-ups. L’enjeu principal reste de transformer une expertise technique reconnue en solutions commercialement viables répondant aux besoins réels des entreprises québécoises.

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Tags: incubateur, innovation, recherche


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